NOTE: Ce texte a également été publié le 28 février 2019 dans le HuffPost Québec (voir ici).
Les chroniqueurs vin publiant en anglais prendront-ils bientôt presque tout l'espace médiatique, même au Québec?
Les chroniqueurs vin publiant en anglais prendront-ils bientôt presque tout l'espace médiatique, même au Québec?
Dans le billet de la semaine dernière, (L'inexorable déclin de la langue française dans le monde du vin), les lecteurs et les lectrices ont pu prendre la mesure de la forte prédominance de l'anglais, dans les diverses publications sur le vin un peu partout dans le monde.
Peu importe le pays d'origine, un consommateur désirant s'informer sur les divers aspects du monde du vin, devra la plupart du temps se rabattre sur de la littérature écrite en anglais, bien souvent par un auteur dont la langue maternelle n'était pourtant pas l'anglais.
Différent au Québec?
Je sais que l'on aime bien s'imaginer que le Québec est un peu comme le village gaulois d'Astérix, l'un des derniers bastions au monde en mesure de résister à l'envahisseur anglo-saxon pourtant supérieur en nombre.
La réalité est passablement différente. Bien sûr, il y a encore au Québec plusieurs critiques, auteurs et blogueurs qui publient et commentent en français les divers aspects du monde vinicole. Mais de moins en moins malheureusement.
Les dernières années ont vu disparaître plusieurs guides ou magazines publiés en français qui existaient depuis un bon moment. C'est à se demander s'il y en aura encore dans peu de temps.
Source: www.cigadvisor.com |
Les dernières années ont vu disparaître plusieurs guides ou magazines publiés en français qui existaient depuis un bon moment. C'est à se demander s'il y en aura encore dans peu de temps.
Il faut dire que gagner sa vie en écrivant en français sur le vin n'est guère facile, sans doute à cause de la petitesse du marché québécois. Vous aurez beau écrire des articles ou donner des entrevues à la télé ou à la radio, presque aucun média n'est prêt à payer pour ce type de contenu.
Une personne au Québec désirant consacrer tout son temps à la dégustation, l'analyse et à l'écriture sur le vin devra le faire comme hobby et non comme gagne-pain.
Face à cette offre d'informations en français qui s'étiole, plusieurs amateurs se tournent de plus en plus vers des magazines, articles, blogues et sites internet en anglais. Sans compter les différentes applications disponibles pour les tablettes et téléphones intelligents.
Il en va de même pour la Société des alcools du Québec qui cite régulièrement et quasi exclusivement des sources anglophones pour vanter plusieurs de ses vins.
Bien sûr, il n'y a rien de répréhensible à cela. La SAQ a pour mandat de rapporter le plus de dividendes (en agissant de manière raisonnable et responsable) au gouvernement du Québec, pas celui de faire la promotion du français (mais peut être le devrait-elle?).
Certes, on mentionne parfois sur le site internet de la SAQ des commentaires de chroniqueurs du Québec, mais cela demeure l'exception plutôt que la règle.
En utilisant régulièrement des figures connues anglophones pour promouvoir certains de ses vins, elle oblige en quelque sorte les consommateurs québécois à lire des commentaires de dégustation écrits dans la langue de Shakespeare.
Voici deux exemples qui ont été publiés sur les médias sociaux:
Les consommateurs étant très sensibles aux suggestions que l'on retrouve sur le site internet et les publications de la SAQ, on risque de tomber peu à peu dans le piège de l'uniformisation du goût.
D'ici quelques années, les spécificités de notre palais québécois auront peut-être été noyées dans la mer des préférences des critiques internationaux, anglophones pour la plupart, et voici pourquoi.
Notre palais est différent
Une étude publiée en janvier dernier par la professeure de marketing à l’École de gestion John-Molson de l'université de Concordia, madame Bianca Grohmann, a démontré qu'il y a certaines différences importantes dans l'évaluation des vins entre les experts du Québec et ceux de Colombie-Britannique.
On peut lire un résumé de cette étude et la consulter intégralement, ici.
On peut lire un résumé de cette étude et la consulter intégralement, ici.
La variété des produits offerts dans la région où l'on vit ainsi que notre milieu socioculturel façonneraient notre palais en conséquence.
En ce qui a trait aux experts qui ont participé à cette étude, l'auteur fait à juste titre remarquer que les anglophones suivent habituellement la formation du Wine and Spirits Education Trust (WSET), un organisme britannique offrant des cours dans plusieurs pays du monde, alors que ceux du Québec optent en général pour une formation donnée par des différentes écoles de sommellerie inspirées par la tradition œnologique française.
En ce qui a trait aux experts qui ont participé à cette étude, l'auteur fait à juste titre remarquer que les anglophones suivent habituellement la formation du Wine and Spirits Education Trust (WSET), un organisme britannique offrant des cours dans plusieurs pays du monde, alors que ceux du Québec optent en général pour une formation donnée par des différentes écoles de sommellerie inspirées par la tradition œnologique française.
Un exemple qui illustre bien ceci, est le cas de l'Apothic Red, un vin rouge bien connu de la Californie et reconnu pour ses 16 grammes de sucre au litre.
Les dégustateurs de Colombie-Britannique l'ont noté favorablement sur le plan qualitatif, ce qui ne fut pas le cas de ceux du Québec. Je ne serais de même pas surpris si de telles différences existaient avec les experts de la province voisine, celle de l'Ontario.
Je ne désire aucunement ici faire un jugement de valeur au sujet du vin mentionné ci-dessus et encore moins à propos des dégustateurs qui l'ont apprécié.
Là où je veux en venir, c'est qu'il n'existe pas une seule vérité, mais plusieurs, découlant de facteurs géographiques et culturels.
Et nos experts du Québec?
Si de tels écarts sont possibles entre experts provenant du même pays, ne peut-on alors imaginer qu'il en existe au moins tout autant sinon plus, entre les préférences québécoises et celles des critiques de pays étrangers?
Bien que ceux que la SAQ met de l'avant soient réputés, je n'ai aucun doute que plusieurs des recommandations de ces experts étrangers ne concordent pas tout à fait avec les goûts de la majorité des amateurs québécois.
Ce n'est pas parce que Robert Parker a octroyé 96 points à un vin costaud comme il les aime ou que tel autre figure dans la liste du Top 100 du Wine Spectator, qu'ils vous plairont à coup sûr.
Je n'ai rien contre l'utilisation occasionnelle de ces sources étrangères, mais pas au point de les mettre sur un piédestal et de leur laisser presque toute la place.
Voici d'ailleurs ce qu'écrivait à cet effet Michel Phaneuf, le 3 août 2009 dans la revue L' Actualité:
Voici d'ailleurs ce qu'écrivait à cet effet Michel Phaneuf, le 3 août 2009 dans la revue L' Actualité:
N’est-il pas paradoxal que, à une époque où l’on n’a jamais tant célébré la diversité et la complexité des vins fins ..., une poignée de commentateurs tout-puissants décident de ce qu’il faudrait boire en résumant puérilement les vins fins par des chiffres ?
Personnellement, j'aurais tendance à faire beaucoup plus confiance aux suggestions d'une Nadia Fournier, d'un Philippe Lapeyrie ou d'une Véronique Rivest pour ne nommer que ceux-ci. Ces dégustateurs aguerris sont bien au fait des particularités et des subtilités de notre palais québécois.
Imaginez l'impact positif sur les ventes qu'aurait l'ajout des commentaires de chroniqueurs québécois influents sur les fiches-produits de la SAQ que l'on trouve sur leur site internet. Ou encore si l'on plaçait des extraits de leurs commentaires près des étalages des produits en question.
Pourtant, la SAQ n'utilise que très rarement les recommandations des spécialistes du Québec tel qu'on peut le voir ci-dessus, publiant même parfois des commentaires émis pour un millésime différent de celui que l'on vend présentement.
Jugerait-on notre expertise inférieure à celle provenant de l'extérieur du Québec? J'espère que non car ce serait admettre que nous ne sommes pas en mesure de faire aussi bien que les autres. Je croyais que ce sentiment d'infériorité était bel et bien révolu.
Si notre propre société d'état à qui l'on a consenti le monopole de la vente du vin et de l'alcool au Québec n'encourage pas nos experts d'ici, lesquels sont de plus en mesure de transmettre l'information en français aux consommateurs québécois, dites-moi qui alors le fera?
Imaginez l'impact positif sur les ventes qu'aurait l'ajout des commentaires de chroniqueurs québécois influents sur les fiches-produits de la SAQ que l'on trouve sur leur site internet. Ou encore si l'on plaçait des extraits de leurs commentaires près des étalages des produits en question.
Commentaires en provenance du Wine Advocate de Robert Parker |
Pourtant, la SAQ n'utilise que très rarement les recommandations des spécialistes du Québec tel qu'on peut le voir ci-dessus, publiant même parfois des commentaires émis pour un millésime différent de celui que l'on vend présentement.
Jugerait-on notre expertise inférieure à celle provenant de l'extérieur du Québec? J'espère que non car ce serait admettre que nous ne sommes pas en mesure de faire aussi bien que les autres. Je croyais que ce sentiment d'infériorité était bel et bien révolu.
Si notre propre société d'état à qui l'on a consenti le monopole de la vente du vin et de l'alcool au Québec n'encourage pas nos experts d'ici, lesquels sont de plus en mesure de transmettre l'information en français aux consommateurs québécois, dites-moi qui alors le fera?
Suggestions de vins de la semaine:
Je vous recommande cette semaines 5 bons vins entre 14,95$ et 21,10$ en provenance de l'Italie, l'Espagne et la France.
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