NOTE: Ce texte a aussi été publié le 9 novembre 2017 dans le HuffPost Québec (voir ici).
Voici des propos éclairants d'un vigneron, œnologue, et consultant de réputation mondiale.
Bien que ce billet intéressera sans doute davantage les sommeliers et les aficionados du nectar de Bacchus, j'incite tous les buveurs de vin à le lire, car certains détails portent à la réflexion.
Avant d'entrer dans le vif du sujet et afin de mettre tout le monde sur la même longueur d'onde, tentons de globalement cerner ce que l'on entend ici par "vin de terroir".
Définition du mot terroir
Dans le domaine spécifique du vin, le mot terroir englobe plusieurs composantes:
- La topographie (relief) du vignoble (plaine, coteaux, terrasses, collines, etc.) et son exposition face aux rayons du soleil
- Le climat (température, heures d'ensoleillement, pluviométrie, etc.) de la région où se trouve ce vignoble
Source: www.le-vin-pas-a-pas.com |
Plusieurs
dont moi-même, ajoutons également l'aspect humain et culturel des
personnes travaillant dans ce vignoble (conduite de la vigne, manière de
vinifier et d'élever les vins, traditions ancestrales, etc.) comme l’un des facteurs définissant un terroir donné. Après
tout, le vin ne se fait pas tout seul.
Et le vin de terroir?
Tenant compte de ce qui précède, on peut conclure qu'un vin de terroir reflète la spécificité des sols d'une région donnée et des cépages utilisés dans son assemblage. On peut de plus y percevoir aussi bien les effets du climat qui règne dans sa région d'origine (chaud, tempéré, pluvieux, sec) que la patte de l'homme (ou de la femme) qui l'a conçu.
Poussé à la limite de ce concept, le ou les cépages utilisés sont parfois transcendés par l'effet terroir. À titre d'exemple, les caractéristiques olfactives et gustatives du cépage Chardonnay sont passablement différentes dans les vins d'appellation Chablis, comme si le cépage s'effaçait pour mieux "traduire" la géologie du sol d'où il provient (Voir: L'insaisissable minéralité dans le vin).
Dans le même ordre d'idée, les producteurs de grands vins rouges de Bourgogne ne vous diront pas qu'ils font du Pinot Noir, mais plutôt du Pommard ou du Gevrey-Chambertin (le lieu prédomine le cépage).
Vous comprendrez ainsi que la philosophie des producteurs de vins de terroir est très différente de celle des producteurs de vins dits industriels.
Terroir vs production de masse
Dans le premier cas, il et difficile de produire de grandes quantités, ces vins exigeant beaucoup de soins tant au niveau de la culture de la vigne que dans leur élaboration. Dans le second cas, on recherche avant tout le volume avant la plus haute qualité. On comprendra que les prix sont généralement alors bien différents.
Il existe évidemment bon nombre de vins industriels bien faits et vendus à prix corrects. Simplement pour vous dire que les vins de ces deux catégories s'adressent habituellement à des consommateurs qui ont des attentes différentes, dépendamment du contexte dans lequel ils seront consommés.
On a rarement besoin de vivre une émotion intérieure grandiose le mardi soir en accompagnement de ses côtelettes de porc aussi bonnes soient-elles, alors que cela peut être fort différent le samedi soir avec un plat de plus haute cuisine.
Qui est Alberto Antonini?
Le 31 octobre dernier, en compagnie de certains de mes collègues, j'ai pu rencontrer cet homme au bar à vin M. Mme situé sur la rue Laurier ouest à Montréal, suite à l'invitation de l'agence La Céleste Levure.
Plus tôt dans la journée, M. Antonini avait participé à un panel lors de la conférence Goûter aux changements climatiques, organisée par la sommelière Michelle Bouffard à l'amphithéâtre Banque Nationale aux HEC à Montréal.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, disons qu'Alberto Antonini est un œnologue d'origine italienne qui fait de la consultation à l'échelle internationale. Il possède une domaine de 28 hectares en Toscane nommé Poggiotondo où les vignes sont cultivées de manière agrobiologique depuis 2014. L'une des ses spécialités est l'étude des sols et leurs impacts sur les vins qui en sont issus.
Il participe aussi au domaine Las Hormigas à Mendoza en Argentine avec son ami chilien Pedro Parra (Clos des Fous), lequel partage les mêmes intérêts que lui. M. Parra était lui aussi présent à la conférence et à notre rencontre en soirée.
Les 6 ennemis du vin de terroir
Il s'est dit beaucoup de choses intéressantes ce soir-là. Je voudrais partager aujourd'hui avec vous les 6 facteurs qui, selon M. Antonini, gomment malheureusement l'effet terroir de certains vins qui auraient pourtant eu le potentiel (sol, climat, vignes âgées, etc.) de l'exprimer.
1. La surmaturité des raisins
On ne répétera jamais trop l'importance de vendanger au bon moment. Sauf si l'on désire élaborer des types bien précis de vins (vendanges tardives, liquoreux, etc.), il est en général néfaste de faire la cueillette des grappes trop tardivement. Les raisins perdent ainsi une bonne partie de leur acidité naturelle et de leur fraîcheur. Il faudra peut être même acidifier le moût par la suite.
2. La surextraction
Pour produite du vin rouge, il faut laisser macérer un certain temps les peaux des raisins. Plus on prolonge cette opération, et plus on extraits de matière colorante (les anthocyanes) et de tanins. Parfois, trop c'est comme pas assez. Un vin trop tannique masque toute la subtilité des composantes du vin. Il s'agit de trouver le point d'équilibre et ne pas le dépasser.
3. Élevage sous bois inadéquat
Mauvais choix de barriques, degré de chauffe trop élevé, trop de bois neuf, ou élevage trop long, peuvent tous faire disparaître la vraie personnalité d'un vin. On peut dire que le vin est un peu comme nous. Quand on a la gueule de bois, nous ne sommes pas à notre meilleur.
4. Décisions du viticulteur
Surtout dans les domaines ayant plusieurs dizaines d'hectares de vignes, il n'est pas rare qu'il y ait une personne qui s'occupe des vignes (le viticulteur), et un autre qui s'occupe de vinifier et d'élever les vins (le maître de chai). Les décisions que prendront le viticulteur auront un grand impact sur la qualité des raisins qui seront récoltés. Notons la taille des vignes, l'effeuillage, le travail des sols, le type de traitements donnés (ou non donnés) aux vignes, la date des vendanges, etc.
5. Décisions du maître de chai
Bien vinifier le vin est un art. De nos jours, une panoplie d'additifs sont disponibles (Voir: Connaissez-vous les additifs contenus dans votre vin?) et autorisés pour le vin, sans compter les multiples manœuvres ou opérations (osmose inverse, microfiltration tangentielle, flash-pasteurisation, etc.) servant soit à corriger ou à ''bonifier" le vin.
Un bon maître de chai limitera ses interventions au minimum et seulement en cas d'absolue nécessité. Pour ce faire, il faut évidemment avoir confiance en son terroir et à la qualité de ses raisins. Il est normal que les vins de terroir aient au cours des millésimes quelques différences. Si votre vin préféré goûte toujours la même chose d'une année à l'autre, posez-vous des questions.
6. Vouloir répondre au marché
Tenter de répondre à des exigences spécifiques des consommateurs est la meilleure façon de tuer la vraie personnalité d'un vin. On risque ainsi de commettre la plupart des erreurs mentionnées précédemment. C'est Michel Chapoutier qui me disait que courir après le goût des consommateurs est de toute manière illusoire car il change souvent, dépendamment des modes, des tendances et des époques.
Cette façon de faire est bien sûr davantage l'apanage des vins industriels dont on modifie rapidement la recette pour se coller à la saveur du jour. Pour réussir à élaborer des vins de terroir, les gens qui les font doivent tout d'abord bien se connaître eux-mêmes ainsi que les particularités du lieu où se trouvent leurs vignes.
« Il ne faut pas chercher à faire des vins qui correspondent au marché, mais chercher le marché de consommateurs qui correspond à vos vins. » a dit M. Antonini. Les producteurs feront alors des vins qui leur ressemblent et qui reflèteront ainsi leur identité et l'expression du lieu où ils ont vu le jour.
On a rarement besoin de vivre une émotion intérieure grandiose le mardi soir en accompagnement de ses côtelettes de porc aussi bonnes soient-elles, alors que cela peut être fort différent le samedi soir avec un plat de plus haute cuisine.
Qui est Alberto Antonini?
Le 31 octobre dernier, en compagnie de certains de mes collègues, j'ai pu rencontrer cet homme au bar à vin M. Mme situé sur la rue Laurier ouest à Montréal, suite à l'invitation de l'agence La Céleste Levure.
Source: www.exquis.ca |
Plus tôt dans la journée, M. Antonini avait participé à un panel lors de la conférence Goûter aux changements climatiques, organisée par la sommelière Michelle Bouffard à l'amphithéâtre Banque Nationale aux HEC à Montréal.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, disons qu'Alberto Antonini est un œnologue d'origine italienne qui fait de la consultation à l'échelle internationale. Il possède une domaine de 28 hectares en Toscane nommé Poggiotondo où les vignes sont cultivées de manière agrobiologique depuis 2014. L'une des ses spécialités est l'étude des sols et leurs impacts sur les vins qui en sont issus.
Source: www.poggiotondowines.com |
Il participe aussi au domaine Las Hormigas à Mendoza en Argentine avec son ami chilien Pedro Parra (Clos des Fous), lequel partage les mêmes intérêts que lui. M. Parra était lui aussi présent à la conférence et à notre rencontre en soirée.
Pedro Parra et Alberto Antonini |
Les 6 ennemis du vin de terroir
Il s'est dit beaucoup de choses intéressantes ce soir-là. Je voudrais partager aujourd'hui avec vous les 6 facteurs qui, selon M. Antonini, gomment malheureusement l'effet terroir de certains vins qui auraient pourtant eu le potentiel (sol, climat, vignes âgées, etc.) de l'exprimer.
1. La surmaturité des raisins
On ne répétera jamais trop l'importance de vendanger au bon moment. Sauf si l'on désire élaborer des types bien précis de vins (vendanges tardives, liquoreux, etc.), il est en général néfaste de faire la cueillette des grappes trop tardivement. Les raisins perdent ainsi une bonne partie de leur acidité naturelle et de leur fraîcheur. Il faudra peut être même acidifier le moût par la suite.
2. La surextraction
Pour produite du vin rouge, il faut laisser macérer un certain temps les peaux des raisins. Plus on prolonge cette opération, et plus on extraits de matière colorante (les anthocyanes) et de tanins. Parfois, trop c'est comme pas assez. Un vin trop tannique masque toute la subtilité des composantes du vin. Il s'agit de trouver le point d'équilibre et ne pas le dépasser.
3. Élevage sous bois inadéquat
Mauvais choix de barriques, degré de chauffe trop élevé, trop de bois neuf, ou élevage trop long, peuvent tous faire disparaître la vraie personnalité d'un vin. On peut dire que le vin est un peu comme nous. Quand on a la gueule de bois, nous ne sommes pas à notre meilleur.
4. Décisions du viticulteur
Surtout dans les domaines ayant plusieurs dizaines d'hectares de vignes, il n'est pas rare qu'il y ait une personne qui s'occupe des vignes (le viticulteur), et un autre qui s'occupe de vinifier et d'élever les vins (le maître de chai). Les décisions que prendront le viticulteur auront un grand impact sur la qualité des raisins qui seront récoltés. Notons la taille des vignes, l'effeuillage, le travail des sols, le type de traitements donnés (ou non donnés) aux vignes, la date des vendanges, etc.
5. Décisions du maître de chai
Bien vinifier le vin est un art. De nos jours, une panoplie d'additifs sont disponibles (Voir: Connaissez-vous les additifs contenus dans votre vin?) et autorisés pour le vin, sans compter les multiples manœuvres ou opérations (osmose inverse, microfiltration tangentielle, flash-pasteurisation, etc.) servant soit à corriger ou à ''bonifier" le vin.
Un bon maître de chai limitera ses interventions au minimum et seulement en cas d'absolue nécessité. Pour ce faire, il faut évidemment avoir confiance en son terroir et à la qualité de ses raisins. Il est normal que les vins de terroir aient au cours des millésimes quelques différences. Si votre vin préféré goûte toujours la même chose d'une année à l'autre, posez-vous des questions.
6. Vouloir répondre au marché
Tenter de répondre à des exigences spécifiques des consommateurs est la meilleure façon de tuer la vraie personnalité d'un vin. On risque ainsi de commettre la plupart des erreurs mentionnées précédemment. C'est Michel Chapoutier qui me disait que courir après le goût des consommateurs est de toute manière illusoire car il change souvent, dépendamment des modes, des tendances et des époques.
Cette façon de faire est bien sûr davantage l'apanage des vins industriels dont on modifie rapidement la recette pour se coller à la saveur du jour. Pour réussir à élaborer des vins de terroir, les gens qui les font doivent tout d'abord bien se connaître eux-mêmes ainsi que les particularités du lieu où se trouvent leurs vignes.
« Il ne faut pas chercher à faire des vins qui correspondent au marché, mais chercher le marché de consommateurs qui correspond à vos vins. » a dit M. Antonini. Les producteurs feront alors des vins qui leur ressemblent et qui reflèteront ainsi leur identité et l'expression du lieu où ils ont vu le jour.
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