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jeudi 22 novembre 2012

Éditorial #12 - CES PASTILLES DE GOÛT QUI NOUS LAISSENT UN ARRIÈRE-GOÛT


NOTE: Ce texte a aussi été publié  dans Le Huffington Post Québec le 22 novembre 2012. (voir ici).

L’une de mes principales motivations étant la propagation de connaissances utiles sur le vin pour le bénéfice du plus grand nombre, je dois dire que le système de classification de la SAQ connu sous le nom de « pastilles de goût » ne me satisfait aucunement.

Élaboré il y a quelques années, ce modèle est supposé réussir à classer tous les vins du monde entier en 8 pastilles (4 pour les blancs, 4 pour les rouges).  À partir de ces mêmes 8 pastilles on se sert aussi de 3 d'entre elles pour les rosés, 3 pour les champagnes et mousseux, et de 3 pour les cidres. Ce système est beaucoup trop limitatif et approximatif pour décrire avec précision toute la complexité que l’on retrouve dans le vin. Celui-ci pourrait convenir à classifier les goûts d’aliments ou de boisson plus simples tel le café et encore, j’en suis loin d’en être certain. 

Je veux bien croire que l’on ait tenté de simplifier au maximum la description des vins pour  la clientèle mais on dirait que l’on a évalué que les consommateurs étaient incapables du moindre effort intellectuel, uniquement en mesure de comprendre des concepts du niveau de la maternelle (des petits ronds, de la couleur, et deux mots à l'intérieur).

Variation

Certaines personnes ont remarqué qu’à l’occasion certains vins changeaient de pastilles. Il semblerait que le comité de 3-4 personnes, des employés de  la SAQ chargés d’attribuer les pastilles de goût des vins, officiellement à l’unanimité, ont parfois de sérieux désaccords entre elles dans l’attribution de ces pastilles. Je plains au fond ces personnes à qui l’on demande l’impossible, soit de classer l’inclassable en utilisant un système incomplet et inapproprié. Ce ne sont pas les débats qui doivent manquer à ce comité!

Addition

Je viens de remarquer à la page 11 de la circulaire promotionnelle en vigueur du 8 au 25 novembre 2012 (Vins en fête), que la SAQ vient d’ajouter une 9è pastille à son tableau et qu’elle a appelée “Fruité et extra-doux”! Ainsi donc, celle-ci vient de réaliser après 5 ans qu’elle n’y avait rien dans son modèle qui convenait aux vins blancs liquoreux. Malheureusement ce n’est pas en ajoutant une pastille de temps en temps que l’on finira par faire de ce modèle bancal un outil efficace de classification des vins du monde entier.

Illusion

En plus d’être à toute fin pratique inefficace, ce modèle donne aux consommateurs la fausse impression qu’ils ont acquis certaines connaissances de base utiles et pratiques, un genre de compréhension instantanée qui s’acquerrait après avoir avalé une pilule miracle. Or, il n’y a rien de plus néfaste que quelqu’un qui croit à tort savoir quelque chose alors qu’il n’en est rien. 

Abdication

Bénéficiant depuis 1921 du monopole de la vente du vin, des alcools et des spiritueux au Québec (on se demande comment le monopole de la vente de la bière a bien pu leur échapper), la Société des Alcools du Québec a un devoir implicite d’éducation et d’information de toute première qualité envers sa clientèle. Ce système simplet et pseudo-éducatif que sont les pastilles de goût qui doit en principe fournir une information précise pour identifier les vins est plutôt le reflet d’un renoncement face à cette importante obligation.

Non utilisation

Avez-vous déjà entendu un conseiller en vins de la SAQ (très bien formés pour la plupart) vous parlez de la pastille de goût du vin qu’il vous suggère? Moi, jamais. Normal, ceux-ci admettant à mots couverts son inutilité.  L’immense majorité des personnes possédant une connaissance profonde du monde du vin n’utilisent à peu près pas, voire pas du tout, cette méthode  de classification. Avez-vous remarqué que les rares personnes qui en vantent les mérites travaillent en général pour la SAQ, ou bien y ont déjà travaillé? 

Ainsi, la plupart des chroniqueurs de vins des différents médias incluant moi-même, pour décrire les vins qu’ils vous présentent, vous mentionneront les cépages et les arômes, vous décriront la bouche, la structure, l’équilibre et la longueur de ces vins….et jamais (ou presque) la pastille de goût à laquelle la SAQ associe ces vins. 

Intimidation et dérision

Si cette méthode serait aussi géniale que l’on veut bien nous laisser croire, elle se serait répandue rapidement à travers le monde, n’est-ce pas? Et bien on attend toujours cette fulgurante propagation! Vous devriez voir l’air plus qu’étonné des producteurs étrangers lorsqu’ils nous visitent et se demandent en visitant quelques succursales de la SAQ la signification de cette drôle de petite rondelle de couleur censée décrire leur produit! Puisque je ne désire pas tomber dans la vulgarité, je me garderai de vous rapporter leurs commentaires

Étant donné que l’on est OBLIGÉ de traiter avec la SAQ pour vendre du vin au Québec, vous vous doutez bien que tous les producteurs, toutes les agences et presque tous les chroniqueurs spécialisés, intimidés par ce monopole d’état tout puissant et craignant les représailles, se gardent bien de dévoiler publiquement le fond de leur pensée au sujet des pastilles de goût, lesquelles représentent un bon sujet de rigolade en dehors de notre très distincte société québécoise. Quand nous en aurons marre de faire rire de nous, alors peut être déciderons-nous de faire bouger les choses.

Confusion

En plus d’être infantile, cette méthode de classification sème la confusion chez la clientèle. Il y a quelques semaines, dans une succursale de la région de Montréal où je faisais quelques achats, avait lieu une dégustation gratuite d’un vin rouge intéressant. L’employée qui s’acquittait bien de cette tâche demanda alors gentiment à une dame dans la quarantaine si elle voulait goûter au vin proposé.  Cette dame refusa catégoriquement de découvrir  ce vin pourtant délicieux car dit-elle « ce vin n’est pas dans ma pastille de goût ! » Cette dame avait erronément compris que chaque personne devait trouver « la » pastille de goût qui lui convient  et se confiner par la suite dans celle-ci jusqu’à la fin de ses jours. Quel gâchis!

Exploitation 

Bien que ce système soit, comme nous venons de le voir, tout à fait inapproprié pour décrire correctement les vins, la SAQ imposerait semble-t-il des frais aux agences et aux restaurateurs pour pouvoir utiliser ces pastilles de goût sur leurs listes de produits ou sur leurs cartes des vins.

Après les taxes sur les biens et services utiles, nous voici donc rendus à taxer l’inefficacité et l’inutilité. On n’arrête pas le progrès. Alors que les alchimistes du Moyen-âge ont échoué à transmuter le vil métal qu’est le plomb en or, la SAQ a réussi le tour de force, à partir d’un système de classification boiteux, à produire de l’argent.  Pas mal du tout. 

Élimination? 

Sommes-nous au Québec si habitués à la médiocrité que non seulement nous ne la dénonçons pas mais que nous ne la remarquons même plus?

Notre bien-aimé monopole d’état aura-t-il un jour la lucidité et l'humilité de reconnaître l’échec total de ce modèle dans la contribution à l’éducation de sa clientèle? Sans aller aussi loin qu’un propriétaire de restaurant que je fréquente à l’occasion qui qualifie les pastilles de goût de « pastilles d’égout », je ne peux que vous suggérer de continuer à faire ce que la grande majorité des gens font, c’est-à-dire d’en ignorer complètement l’existence. 

Précision 

On pourrait croire à tort que je serais près demain matin à faire table rase de notre système québécois de commercialisation des vins et spiritueux et à tout privatiser. Or, il n’en est rien.

Malgré certains inconvénients, celui-ci a plusieurs avantages (diversité de l’offre, accessibilité sur tout le territoire, contrôle de la qualité, etc.). Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. J’essaie (sans doute en vain) de réveiller ce géant endormi qui a tout le potentiel voulu pour devenir l’un des meilleurs et des plus complets réseaux de distribution de vin au monde. Cela débute par une certaine ouverture à la critique positive et articulée, par l'acceptation de se remettre parfois en question, et par le désir de modifier au besoin certaines manières de faire les choses.

Conclusion 

Les pastilles de goût reposent sur un modèle où le consommateur n’apprend rien de vraiment concret et demeure dépendant d'une information brouillonne et incomplète. Seule une évaluation du vin qui tient compte de la composition des cépages peut rendre le consommateur indépendant, lui permettant de penser, de comprendre, de décider et de choisir adéquatement les produits qui lui conviennent. (voir mon billet « Découvrez les cépages et percez les mystères du vin »). 

Si au lieu de la mise en place des pastilles de goût il y a environ cinq ans,  la SAQ avait plutôt misé sur la divulgation et  l’explication des cépages, la clientèle québécoise serait certainement beaucoup mieux formée et informée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Entre l’esclavage et la liberté, que préférez-vous?  Entre l’ignorance et la connaissance, que choisirez-vous?


Mes suggestions de la semaine:

Pour votre plus grand plaisir, voici quelques très bons vins que je vous invite à découvrir; les informations de base essentielles sont mentionnées pour chacun d’eux (mais ne cherchez pas en vain leur pastille de goût!).

Vin blanc


Chardonnay, Les Parelles, Côtes-du-Jura, Juravinum, 2008, France

Cépage:  100% Chardonnay
Code #:   11195641
Prix:        18,40$
Servir:     12° Celsius

Voici un type de vin que peu de chroniqueurs vous parleront de peur de déplaire à leur lectorat. Je vous encourage pour ma part à  plutôt essayer ce vin, histoire de former votre palais à quelque chose de différent. Il est idéal pour s'initier aux vins blancs qui ont subi une certaine oxydation (d'où le mot "Tradition" sur l'étiquette), c'est-à-dire qu'il a été élevé sous voile de levures pendant au moins un an. Il développe ainsi un nez de noix et une finale plus sèche. Plutôt qu'à l'apéro, on le servira à table, accompagné de fruits de mer, poissons et viandes blanches nappés de sauce à la crème, avec du fromage (Comté) ainsi que la raclette!

Vins rouges


Il Ducale, Ruffino, Toscana, 2010, Italie

Cépages: 60% Sangiovese (pour l'élégance), 20% Merlot (pour la rondeur) et 20% Syrah (pour le fruit noir épicé et la texture soyeuse)
Code #:   11133204 
Prix:       18,95$
Servir     16° Celsius 
Carafer:  20 minutes

Selon la petite histoire, le Duc d'Aoste aurait en 1890 tellement aimé les vins de cette maison que celle-ci devint le fournisseur officiel de la Cour royale d'Italie.  Ce vin, de part son nom (réservé pour le Duc) commémore cet évènement. Il dégage des arômes de mûre et de cassis et d'épices. La bouche est souple  et équilibrée et laisse un palais légèrement rugueux en finale soutenue par une petite amertume rafraîchissante. Un vin de Toscane auquel on a apporté avec le Merlot et la Syrah une touche moderne et internationale. Remarquez que le producteur a choisi d'indiquer sur son étiquette les noms et les % des cépages de son vin. Bravo!
 

Moulin-à-Vent, Henry Fessy, 2010, France

Cépage:  100% Gamay
Code #:  11589818
Prix:        21,65$
Servir:    14-15° Celsius

Oubliez le beaujolais nouveau qui n'est qu'une opération de marketing servant à écouler rapidement le tiers de la production de cette région à prix fort (après tout il faut bien que le transport en avion se paye), et offrez-vous beaucoup plus de plaisir et de vin pour à peine quelques dollars de plus. Un joli nez de framboise et de cassis laisse présager un  vin qui se révèle fruité et quelque peu minéral en bouche. D'ailleurs celle-ci est souple et légèrement charnue grâce à de beaux tanins mûrs et se prolonge assez longtemps. En plus d'être délicieux maintenant, ce vin peut aussi vieillir quelques années en cave. Assez subtil pour votre gigot d'agneau, mais assez profond pour la côte de boeuf au jus.
 

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