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vendredi 16 janvier 2015

Il y a deux SAQ dans la SAQ


Note: Ce texte a aussi été publié le 15 janvier 2014 dans le Huffington Post Québec (voir ici).

Certains aiment inconditionnellement la SAQ alors que d'autres la détestent. Et si ces antipodes s'expliquaient par le fait qu'il y aurait deux SAQ dans la SAQ?

J'aimerais préciser que l'analyse qui suit ne vise ou ne condamne aucun employé personnellement et n'a pour but que de vulgariser au plus grand nombre les rouages de cette société d'état.

La réflexion et les explications qui suivent nous ferons comprendre un peu mieux pourquoi beaucoup d'entre nous aimons et détestons à la fois ce monopole d'état créé en 1921 au début de la prohibition américaine (1919-1933), et qui est le seul depuis lors à détenir les pleins pouvoirs sur l'achat, l'importation, le transport et le contrôle de la vente des boissons alcoolisées au Québec.

Nous verrons que cet organisme possède au niveau de la commercialisation du vin, un peu comme la céréale Mini-Wheats, deux parties distinctes et quelque peu divergentes, soit un côté agréable et givré, et un côté aride moins plaisant.


Le répertoire des vins de la SAQ se divise en deux catégories. La première est celle des vins courants, soit environ 1,100 produits, lesquels se retrouvent dans presque toutes les succursales du réseau et on les place au centre des magasins. La seconde est celle des vins de spécialité, soit environ 8,000 produits, qui ne sont que disponibles qu'à tour de rôle et sporadiquement au cours de l'année; on les retrouve dans l'Espace Cellier situé à l'arrière ou sur les côtés des magasins.

Débutons par cette dernière.

Le côté givré (les vins de spécialité)

Les clients qui fréquentent régulièrement l'Espace Cellier sont surtout, du moins jusqu'à aujourd'hui, des gens qui ont acquis au fil des années une connaissance plus que certaine du vin. Ils représenteraient de 15 à 20% de la clientèle et n'hésitent à examiner ce qui s'y trouve et y font la plupart de leurs achats. Et ils font bien.

Cette section propose en effet une variété impressionnante de produits de toutes provenances. Lorsque des visiteurs étrangers visitent nos magasins, ceux-ci sont épatés du vaste choix de vins que l'on peut trouver sous un même toit.

Certains de ces vins, souvent issus de petites productions, ou encore très en demande mondialement, ne peuvent qu'être achetés qu'en petites quantités. Ils ne resteront souvent donc sur les tablettes que quelques semaines, voire quelques jours ou même quelques heures! La sélection des produits de spécialité varie de même d'une succursale à l'autre.

La superficie des succursales et des entrepôts de la SAQ étant limitée, notre monopole ne peut garder à l'année longue tous ces quelques 8,000 produits. Pour que cela soit possible, il faudrait que le marché soit divisé entre plusieurs commerces concurrents au lieu d'un seul.

La qualité de ces 8,000 produits de spécialité est en générale très bonne et souvent même excellente. Le rapport qualité/prix se défend assez bien lui aussi. Pourquoi? Et bien pour principalement deux raisons.

La première est que le prix des vins de spécialité n'a généralement pas besoin d'inclure dans son prix un coût pour le budget promotionnel, contrairement à la plupart des vins courants, entraînant des coûts cachés dans le prix de vente. La seconde est que le pourcentage de la marge bénéficiaire de la SAQ est moins élevé sur les vins plus dispendieux et plus élevée sur les vins vendus moins chers (voir ici).

Les clients peuvent de plus avoir recours à l'expertise des conseillers en vin qui patrouillent cette zone. Rappelons que la structure de prix au Québec est ainsi faite qu'à partir de 40-50$ et plus les prix équivalent à peu près à ce que l'on retrouve au niveau international, et parfois moins. Oui, oui, parfois moins.

Pour toutes ces raisons, les personnes qui achètent la plupart de leurs vins parmi cette catégorie de produits sont habituellement d'ardents défenseurs du monopole et je ne peux pas vraiment les en blâmer car ils profitent du côté givré de la SAQ.

Sans en connaître aucun personnellement et sans vouloir faire de jaloux, j'aimerais souligner ici le travail méticuleux et professionnel des cadres du monopole qui ont la responsabilité de la commercialisation des vins de spécialité. Ils connaissent et aiment le vin, c'est évident et Dieu merci on les laisse faire leur boulot. Leur bon travail amène plusieurs personnes à dire qu'il serait dommage de perdre cette expertise advenant un démantèlement total de la SAQ.

Le côté aride (les vins courants)

Comme dit le dicton, après les fleurs, le pot. Je rappelle que ce qui est ici analysé, ce sont des procédés et des politiques, pas des individus.

Mentionnons tout d'abord que les 1,110 vins de cette catégorie qui ne représentent pourtant que 14% du répertoire total de vins du monopole, génèrent près de 80% de ses ventes de vin! On peut dire sans se tromper que si les vins de spécialité de tout à l'heure sont la vache à vin de la SAQ, les vins de produits courants en sont la vache à lait.

Cette forte concentration des ventes n'aurait aucune sérieuse incidence si ce n'était qu'au cours des dernières années, cette partie du magasin où se retrouve les produits courants a peu à peu pris l'allure d'une véritable "trappe à touristes". Plusieurs de ses éléments ont été pensés et conçus pour tirer profit d'une certaine naïveté et surtout de la méconnaissance en vin d'une partie de la clientèle (on ne peut pas être tous des experts), à commencer par une partie des produits qu'on y sélectionne. Et pourquoi se méfierait-on? La SAQ n'est-elle pas après tout supposée être LA référence au Québec en matière de vin?

Il est assez évident qu'ici ce n'est pas l'amour du bon vin ou l'éducation de la clientèle qui prédominent, mais l'argent que l'on peut en tirer. Si la clientèle a soif de vin, c'est de revenus que le gouvernement s'abreuve.

Mais la plupart des commerces de détail font de même diront certains. C'est vrai. Mais les autres commerçants ne peuvent se permettre d'abuser sans limites car ils ont de la compétition, pas la SAQ.

Je sais que certains trouveront ces propos un peu durs mais les faits parlent par eux-mêmes. Seuls les aveugles, réels ou volontaires, ne le verront pas.  Si vous relisez les billets publiés antérieurement où je décris des pratiques de mise en marché que je juge condamnables et inacceptables pour le consommateur, vous vous apercevrez que la plupart se rapportent d'ailleurs à la commercialisation des vins courants du monopole.

Comme je l'ai déjà écrit, il existe au moins un million de vins différents de par le vaste monde. On pourrait s'attendre à ce qu'il soit relativement facile d'en sélectionner 1,100 qui seraient tous très bons. Il semble bien que non. Moi-même je peine maintenant à y trouver facilement de bons rapports qualité/prix. 

Pour parodier les films de la Guerre des Étoiles, cette facette du monopole représente un peu le côté obscur de son pouvoir et de sa colossale force.

Ai-je besoin de rappeler ici que dans cette catégorie de produits le monopole a réussi à faire presque complètement disparaître en quelques années à peine ses 183 vins de moins de 10$, qu'on y retrouve près de 10% de produits importés en vrac (vins de dépanneurs) sans aucune mention sur la bouteille (voir liste partielle ici), que ces produits sont choisis avant tout en fonction du budget promotionnel du fournisseur et non pas sur leur qualité, que la LCBO en Ontario qui est aussi un monopole arrive souvent à offrir certains de ces produits  à 1$, 2$ et 3$ de moins.

Le plus triste est que ces produits sont souvent ceux que les personnes qui commencent à s'intéresser au vin achètent en premier. Rien pour les convertir ou les rendre accros au vin. n'est-ce pas? C'est à se demander d'où proviendra la relève de la clientèle d'ici quelques années.

Plusieurs des employés de longue date du monopole réalisent tout ceci de plus  en plus et en sont désolés.

En conclusion 

Quiconque désire analyser et comprendre le fonctionnement de la SAQ, doit le faire en examinant les deux catégories de produits de manière distincte, sous peine de brouiller les cartes.

Tout comme moi, la SAQ sait fort bien qu'elle devra apporter certains changements si elle désire développer ses ventes et ses profits. Je sais qu'elle y travaille et je lui souhaite de prendre les bonnes décisions (voir exemple ici).

Pour le moment, tout comme le docteur Jekyll avait comme alter ego un mister Hyde, la Société des alcools du Québec semble bien avoir deux personnalités. L'avenir nous dira laquelle des deux prendra le dessus.

Son côté givré réussira-t-il à contaminer avec sa passion du vin son côté pécuniaire et plus sombre? Par contre, si c'est la mentalité de ce dernier qui est de faire le plus de fric possible grâce à un nivellement par le bas qui triomphe, le nombre de défenseurs de cette société pourrait bien se mettre à chuter davantage. L'exercice de ce  monopole ayant été poussé à la limite extrême du raisonnable, une grande majorité de la population pourrait alors demander que l'on passe à autre chose.

Suggestions de vins de la semaine:

Cette semaine, j'ai examiné pour vous les quelques 80 vins que le monopole propose dans sa circulaire "La grande Cuvée de p'tits prix" qui est en vigueur jusqu'au 25 janvier prochain. Comme vous vous en doutez, il y a de meilleures affaires que d'autres. Une vingtaine de produits environ, dont les prix varient de 8,95$ à 13,00$, semblent se démarquer.


Cliquez ici pour consulter mes recommandations


Ajout du 16 janvier 2015:

Le lendemain matin de la publication de ce billet dans le Huffington Post Québec, le Journal de Montréal nous apprenait qu'un nouveau recours collectif contre la SAQ, basé cette fois-ci sur l'article 8 de la Protection du Consommateur, pourrait bientôt voir le jour.


On reproche principalement la surexploitation de la clientèle pour certaines catégories de produits, soit les agissements que je décris ci-dessus résultant du "côté obscur" du monopole.

Toujours le matin du 16 janvier, maître David Bourgoin a donné une entrevue à la station Radio X de Québec. Il explique que la Cour d'Appel du Québec lui a récemment donné raison sur un point important que le juge de première instance lui avait refusé lors du premier recours collectif. On reviendra donc bientôt en Cour avec une version améliorée de recours collectif contre la SAQ:

http://bit.ly/1Cxpmai


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