Note: Ce texte a aussi été publié le 24 octobre dernier dans le Huffington Post Québec (voir ici).
Le billet d’aujourd’hui a pour but de vous démontrer, chiffres et tableaux à l’appui, que l’on a raison de penser que les gens qui achètent des vins plus dispendieux ont davantage de vin dans leur verre pour chaque dollar dépensé, comparativement à ceux dont les moyens plus modestes les conduisent à se rabattre sur des vins à plus bas prix.
Nous aborderons donc ce sujet d’un point de vue strictement économique et non pas qualitatif. Car il y a en effet de bons vins vendus à prix abordables et je vous en ai maintes fois parlé. La qualité d’un vin n’est pas nécessairement directement proportionnelle à son prix.
Il existe bien sûr de mauvais vins vendus 25-30$ et de très bons à 12-15$. Il s’agit de bien choisir. Mais force est de constater que vous risquez davantage de tomber sur un vin très plaisant et surtout satisfaisant si votre budget vous permet de mettre 30-40-50$ et plus sur une bouteille de vin, surtout si elle provient d’un producteur réputé.
Certains sont plus égaux que d’autres
Alors pourquoi me demanderez-vous, les consommateurs de vin ne sont-ils pas tous égaux dans leurs achats de vin au niveau du rapport qualité/prix, indépendamment du niveau de leurs revenus personnels? En d’autres mots, pourquoi quelqu’un qui se procure une bouteille de vin à 15$, ne peut-il pas avoir la pleine certitude qu’il aura au moins la moitié de la qualité de celle que son voisin plus fortuné achète à 30$. Cela serait logique, non? Pas du tout.
Si les proportions ne sont pas égales c’est tout simplement parce que la Société des Alcools du Québec applique une taxe régressive sur le prix coûtant des vins qu’elle vend. Régressive signifie que plus le prix coûtant augmente, moins le pourcentage de la majoration est élevé. C’est cette taxe indirecte que notre bien-aimé monopole appelle pudiquement sa « majoration ».
Quelques exemples
Si un producteur vend son vin 2,50$ la bouteille à la SAQ, celle-ci appliquera le taux de majoration prévu pour les vins qu’elle achète dans cette catégorie de prix, soit environ 165%; après l’ajout d’autres taxes, le prix de vente au détail de cette bouteille sera d’environ 9,50$.
Pour un vin qu’elle achète 4,95$ la bouteille du producteur, la majoration est alors de 131% et le prix de détail est approximativement de 14,90$.
Et pour un vin vendu par le producteur 10,00$ la bouteille à la SAQ, la majoration du monopole baisse à environ 87% et le prix de détail est alors de 23,25$. Si le taux de majoration aurait été le même que celui de la première catégorie, le prix de détail de ce dernier vin aurait été de plus de 32,00$. Personne n’en achèterait.
Et il en va ainsi pour la suite. Plus le prix coûtant du vin augmente, plus le niveau de taxation baisse.
Voici un tableau ce que cela donne sous forme de courbe lorsque l’on met en relation le total des taxes avec le prix de vente au détail :
Une image vaut mille mots, n’est-ce pas? Il serait même plus juste d’utiliser ici l’orthographe « mille maux ». Juste entre 10$ et 30$ il y a une méchante différence dans le % des taxes (73% comparé à 53%).
Une image vaut mille mots, n’est-ce pas? Il serait même plus juste d’utiliser ici l’orthographe « mille maux ». Juste entre 10$ et 30$ il y a une méchante différence dans le % des taxes (73% comparé à 53%).
Voici la même réalité présentée cette fois-ci sous forme d’un graphique à colonnes:
Il est facile de voir que c’est lorsque le vin se vend au Québec autour de 50$ que le coûtant du producteur est presqu’égal au montant des taxes. C’est aussi le montant où j’évalue que nos prix de vente commencent à correspondre aux prix internationaux. On réalise aussi que le taux de majoration de la SAQ se stabilise passé ce seuil.
Mais le plus ironique, c’est qu’avec ce système, des vins comme les grands crus classés français, se vendent ainsi bien souvent un peu moins cher au Québec qu’en France! Selon vous, quels types de vins boivent nos honorables ministres provinciaux ainsi que les membres du gouvernement, de la haute fonction publique et de nos sociétés d’état? Des vins à 10-20$ comme vous? Ou bien des grands vins qu’ils peuvent ainsi payer moins chers que s’ils se les procuraient sur le marché même des pays producteurs?
Pourquoi est-ce ainsi?
Question de fric, tout simplement. La province de Québec étant pauvre en riches mais riche en pauvres, il est facile de prévoir que la grande majorité des clients de la SAQ achèteront surtout des vins de 20$ et moins. On a alors conçu un modèle de fixation de prix qui taxe davantage ces vins à fort volume de ventes.
Je désirerais ici saluer la franchise de M. Philippe Duval, président directeur-général de la SAQ qui a répondu sans détour à cette question que lui posait le chevronné animateur- journaliste Paul Arcand le 12 septembre dernier (voir ici). En résumé, "on taxe plus ce que l'on sait que l'on va vendre plus". Pas très démocratique comme principe, mais au moins cela a le mérite d’être clair.
Ceux qui portent la responsabilité de ceci sont, vous l’aurez deviné, les membres des gouvernements qui se sont succédés au cours des dernières années à la tête de notre province, infiniment plus assoiffés de revenus qui seront le plus souvent dilapidés, que les amateurs de pinard qui tentent de trouver des vins à juste prix.
Allons encore un peu plus loin
J’avise immédiatement les âmes sensibles ainsi que les quelques (rares) personnes qui ont des boutons lorsque j’explique les rouages de notre présent système de commercialisation du vin au Québec d’arrêter immédiatement leur lecture ici. Si vous poursuivez c’est que vous aurez tacitement consenti à assumer le risque potentiel de ressentir quelques désagréables malaises. Vous ne pourrez pas ainsi m’en tenir rigueur par la suite.
Dans mon premier tableau la différence entre le prix de vente au détail et le total des taxes les taxes est le prix payé par la SAQ au producteur. Mais qu’y a-t-il au juste dans le prix coûtant du producteur? Plusieurs choses, dont :
-Le prix de la bouteille de verre (0,50$ environ)
-Le prix de l’opération de l’embouteillage
-Le prix de l’étiquette et de sa mise en place
-Le prix du bouchon et de sa mise en place
-Le prix du transport (0,50$ environ en moyenne)
-La commission de l’agent qui le représente au Québec (10 à 15%)
-Un certain et légitime profit
et finalement...
-Le coût du vin dans la bouteille (car après tout c’est ça que le consommateur achète!)
Donc, c’est rassurant, car il y a (en principe) un peu de valeur de vin dans chaque bouteille. Mais combien cette valeur en vin représente-t-elle en % par rapport au prix de vente au détail?
Pour le savoir, j’ai refait les mêmes calculs que précédemment mais en éliminant du coût du producteur toutes les autres dépenses autres que celle représentant le coût du vin afin de connaître le % de la valeur du vin par rapport à tout le reste et ce, par catégories de prix de vente au détail.
Sous forme de courbe, nous obtenons alors le tableau suivant :
Pour ceux qui préfèrent les graphiques avec des colonnes, voici les mêmes chiffres :
Hallucinant. Le savoir est une chose, mais le voir de ses yeux en est une autre, ne trouvez-vous pas? Produire du vin, surtout de manière industrielle, ne coûte pas si cher. C’est du jus de raisin fermenté après tout. Il est incroyable que l'on réussisse si bien à vous faire avaler des taxes au lieu du vin.
Analyse des résultats
Analyse des résultats
Dans un vin que vous achetez 10$, il y a 90% de taxes et de coûts divers et 10% de valeur en vin; le coût réel du vin est d’environ 1$.
Avec un vin payé 30$, il y a 68% de taxes et de coûts divers, la valeur du vin dans la bouteille représentant environ 32%, soit 9,60$ de valeur de vin. On remarquera l’énorme disproportion : même si 30$ c’est 3 fois plus cher que 10$, il y a cependant 9.6 fois plus de valeur de vin dans le premier! (9,6$ comparé à 1$) Le vin vendu plus cher devient ainsi un bien meilleur rapport qualité/prix.
Comme je l’ai écrit dans mon premier paragraphe : les gens qui achètent des vins plus dispendieux ont davantage de vin dans leur verre pour chaque dollar dépensé, comparativement à ceux aux moyens plus modestes qui doivent se rabattre sur les vins à plus bas prix.
Ces tableaux le prouvent hors de tout doute. Je défie quiconque de démontrer le contraire. Si j’avais fait une démonstration de raisonnement mathématique, j’aurais pu écrire ici : C.Q.F.D. (ce qu’il fallait démontrer).
Un gros merci à Marie-Claude Journeault, illustratrice de talent, pour sa représentation du thème: "Du vin pour les riches, des taxes pour des pauvres". Adresse courriel: joure20@hotmail.com |
Encore plus loin
Pas encore convaincu(e) que le système québécois a dépassé le seuil du ridicule? Et bien allons encore plus loin (oui, oui, encore plus loin) que tout à l’heure. Les âmes sensibles sont de nouveau priées de s’abstenir de poursuivre leur lecture.
Je vous rappelle avant que selon les résultats d’une étude de la réputée IWSR (International Wine & Spirit Research) réalisé en 2012 sur le marché mondial du vin et des spiritueux, 91% des vins (de format 750 ml) vendus dans le monde coûtent moins de 10$. Encore mieux, près de 70% des vins vendus dans le monde coûtent moins de 5$ (voir ici).
Je sais que pour bien des Québécois(es) ce n’est pas croyable mais ce sont pourtant des faits que votre gouvernement ne vous dit surtout pas et que plusieurs contribuables préfère même ne pas savoir. Car admettre qu’il y a un os implique qu’il faille réfléchir pour trouver une solution et ça, pour plusieurs, c’est trop leur demander.
Comment la plupart des pays du monde (que ces pays soient des producteurs de vin ou non) arrivent-ils à offrir à leur population des vins à moins de 5$ la bouteille, qui sont en fait les mêmes vins que l’on vous vend ici 10-15$? La réponse est dans les niveaux de taxation de ces pays futés qui sont de 2 à 3 fois moins élevés que le nôtre, tout simplement. Et ces pays ne font pas nécessairement moins d’argent que nous pour autant car leurs volumes de ventes sont plus élevés. Logique me direz-vous? Pas pour tout le monde semble-t-il.
Il y en aura toujours pour prétendre, par mauvaise foi ou par manque d’information, que notre situation n’est pas du tout absurde, cocasse et vaudevillesque. Pardon? Écoutez bien ceci.
Je vous avais promis que nous irions encore plus loin dans notre exposé sur la présence démesurée des taxes dans le prix du vin. Allons au bout de notre folie collective et osons remplacer le vin dans la bouteille par de l’eau.
L’exemple « qui tue »
Avec de l’eau, le coût du liquide dans la bouteille dans cet exemple ne coûte donc rien. Il y a ainsi 0$ de valeur en vin. Il ne reste donc plus que les autres coûts d’opération du producteur (bouteille, embouteillage, étiquette, bouchon, transport, commission de l'agent, petit profit), que nous évaluerons à un strict minimum de 1,50$ la bouteille, soit le prix que la SAQ la paierait cette bouteille d'eau du producteur. Avec tous les coûts que je vous ai mentionnés un peu plus tôt, vous conviendrez qu’il est techniquement impossible pour un embouteilleur de vendre avec profit de l’eau (incluant le transport) dans une bouteille en verre à un prix plus bas.
Si nous appliquons notre système de taxation actuel pour le vin, combien selon vous coûterait cette bouteille d’eau si elle était vendue à la SAQ? Hein, combien?
Et bien 6,75$!!
Oui, 6,75$ pour une bouteille n’ayant AUCUNE valeur en vin. Seulement de l’eau. Pour avoir ici des bouteilles de VIN qui seraient vendues moins de 5$, aucune chance. C’est une impossibilité mathématique… et surtout politique.
Comprenez-vous maintenant pourquoi la Société des Alcools ne vend pas de l’eau en bouteille? Puisque dans ce domaine il existe de la concurrence, celle-ci ne pourrait pas en vendre beaucoup à ce prix beaucoup trop élevé, contrairement au vin bien sûr où on lui a consenti le monopole absolu et où elle peut faire à peu près tout ce qu’elle veut.
Ma solution : une révolution? Non, une évolution!
La meilleure avenue pour un rétablissement graduel vers un marché plus normal du vin au Québec ne serait pas selon moi la privatisation, mais bien la démonopolisation. Jetons l’eau sale du bain mais gardons le bébé.
En permettant à certaines conditions un minimum de concurrence et surtout en revoyant à la baisse les insensés niveaux actuels de taxation, la plupart des aberrations que nous constatons de plus en plus au Québec et qui défavorisent de plein fouet les consommateurs de vin disparaîtraient peu à peu.
L’offre des produits serait ainsi augmentée et les prix seraient plus abordables. Il y aurait ainsi stimulation de la consommation de vin auprès des personnes qui avaient cessé de boire du vin ou qui en buvaient beaucoup moins, sans parler de l’addition de nouveaux consommateurs. Ceci permettrait aux ventes et aux profits - présentement en inquiétante baisse depuis le début de la présente année financière - de repartir à la hausse. Personne ne perdrait son boulot et de nouveaux seraient créés. Tout le monde y gagnerait incluant le gouvernement.
En attendant (parce qu’au Québec nous sommes les champions de l’attente), si vous décidez de ne plus boire de vin et qu’à la place vous optez pour de l’eau, vous saurez au moins grâce à cet article qu’il ne faut pas l’acheter à la SAQ. Elle est bien moins chère chez votre épicier!
Suggestions de vin de la semaine:
Mes recommandations de vins pour cette semaine (tous des vins de Bordeaux), sont des produits qui malgré les taxes, ont pour principale caractéristique de vous en donner pour votre argent.
Vins blancs
Château Suau, Côtes de Bordeaux, 2012, France, 17,00$
Vins rouges
Château de l'Abbaye, Haut-Médoc, cru bourgeois, 2009, France, 21,95$ (voir ici)
Château Grand Village, Bordeaux Supérieur, 2009, France, 22,95$ (voir ici)
La petite Chardonne, Côtes de Bourg, 2010, France, 23,85$ (voir ici)
Bonnes dégustations!
Amateur du vin depuis les années ’70 j’ai dénoncé ces pratiques (LCBO, SAQ etc.) et on voit ce que ça donne… rien. Il faut donc ravaler notre rage!
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