lundi 14 octobre 2024

Éditorial: L'obsession de la croissance des profits de la SAQ nuit-elle à l'économie québécoise?


Que l'on soit pour ou contre le monopole de la Société des alcools du Québec, il convient de réfléchir à cette question. Une récente décision de cette entreprise gouvernementale semble démontrer que le mieux est parfois l'ennemi du bien.



Avec ses derniers budgets fortement déficitaires, le gouvernement du Québec a accentué la pression sur ses sociétés d'état (Hydro-Québec, SAQ, Loto-Québec, SQDC) pour qu'elles lui livrent rapidement des dividendes de plus en plus élevés.

Pour la SAQ, le contexte est cependant quelque peu défavorable, puisqu'elle doit faire face à une baisse de la consommation en alcool des Québécois (es) pour diverses raisons (vieillissement de la population, baisse du pouvoir discrétionnaire des consommateurs dû à l'inflation, prix de plus en plus élevés, etc.). 

Alors qu'il suffisait auparavant d'augmenter régulièrement les prix, atteindre les objectifs de rentabilité exigés par le gouvernement dans ce contexte devient plus difficile.

Heureusement pour la SAQ, le gouvernement lui a toujours donné carte blanche et elle peut faire à peu près tout ce qu'elle désire pourvu que les profits soient au rendez-vous, quitte à ce qu'elle agisse de plus en plus comme une entreprise privée et non comme une société d'état.

Cependant, lorsque qu'un organisme gouvernemental axé sur les profits prend des décisions en silo en ne priorisant que ses propres objectifs financiers, les bénéfices pour l'économie globale de la province peuvent parfois s'avérer très mitigés, voire négatifs.

Examinons pour ce faire, une récente décision annoncée par la haute direction de la Société des alcools du Québec au sujet de l'évolution future de son répertoire de produits.


La SAQ désire vendre beaucoup plus de produits sans alcool

C'est ce que mentionnait aux journalistes au début du mois de septembre, M. Jacques Farcy, président et chef de la direction de la SAQ. (lire l'article de La Presse ici)





Bien sûr la SAQ en vendait déjà quelques-uns, mais on désire maintenant y aller à fond de train. La logique financière avancée est la suivante: il se vend moins de vin et les produits sans alcool ont la cote, alors allons-y à bride abattue!

On semble oublier que la raison qui a mené en pleine période de prohibition à la création de cette société d'état monopolistique en 1921 (alors appelée Commission des Liqueurs) était d'assurer la gestion et le contrôle de la vente des vins et des spiritueux.

Rappelons que les produits sans alcool sont depuis le début de leur apparition vendus par des détaillants privés (épiceries, dépanneurs, etc.) puisque la SAne détient pas de monopole sur ceux-ci. Maintenant que l'entreprise privée a réussi à développer ce marché et que la demande augmente, la SAQ désire sauter à pieds joints dans le train.

Soyons réalistes. Les gens ne se mettront pas à boire davantage de ces produits, uniquement parce que la SAQ en vendra. En vertu du principe des vases communicants, les parts de marché qu'obtiendra cette société d'état seront forcément prises au dépend des détaillants privés dont les ventes (et les profits) diminueront. 

On peut dès à présent prévoir un manque à gagner pour le gouvernement au niveau des remises que les détaillants privés lui remettront.  Et assurément, il y aura des emplois au privé qui se perdront, entraînant d'autres retombées économiques négatives pour le Trésor public. Pour habiller Jean (la SAQ) on déshabille Paul! (les détaillants privés).

Je n'ai rien contre le fait qu'une société d'état augmente ses revenus mais encore faut-il qu'il y une plus-value pour les contribuables en bout de ligne. 

Plusieurs personnes se demandent ce que fait le gouvernement dans la vente du vin et des spiritueux depuis plus de 103 ans, alors que ce n'est majoritairement pas le cas ailleurs dans le monde. Mais visiblement cette emprise étatique au Québec est appelée à s'étendre, puisque l'on n'hésite plus à jouer dans les plates-bandes du privé.

Et si un jour qu'il faille livrer encore plus de profits, la SAQ décidera-t-elle alors d'embarquer dans la vente au détail d'eau en bouteilles et de boissons gazeuses qui sont eux aussi des produits sans alcool, en vertu de la même logique? La porte étant désormais entrouverte, l'industrie est en droit de se poser cette raisonnable et pertinente question.

C'est l'opinion qu'exprime madame Michèle Boisvert, économiste de formation et chroniqueuse au journal Les Affaires dans cette entrevue radiophonique (écoutez ici).




Avec les produits sans alcool, la SAQ entrera dans un marché où il y a de la compétition qui est un domaine où elle n'a pas l'habitude d'évoluer.

Rappelons que la SAQ avait des prétentions de devenir un grossiste international et a fait une incursion dans la vente en ligne de vin aux États-Unis vers la fin de 2010, par l'entremise d'une société en commandite appelée Twist (voir ici). Moins de 4 ans plus tard, on se retira de ce marché après avoir perdu plus de 10 millions de dollars, incapable semble-t-il de faire face à la musique dans un marché compétitif (voir ici).

La Société des alcools du Québec ne pourra probablement pas vendre les produits sans alcool avec des marges bénéficiaires exorbitantes comme elle le fait avec les vins et les spiritueux sur lesquels elle détient un monopole. Ses profits seront forcément moindres avec ces nouveaux produits. Et la superficie des succursales n'étant pas élastique, la vente de produits sans alcool viendra réduire d'autant l'espace occupé par les vins et les spiritueux qui ont été à la base de sa création.




En ne pensant qu'à la croissance de ses profits, la Société des alcools du Québec avec sa diversification de la gamme de ses produits ne risque-t-elle pas de s'éloigner peu à peu de sa mission première? A-t-on calculé si le gain potentiel de cette décision est supérieur aux effets négatifs globaux? Je me demande si cette hypothèse a seulement effleuré l'esprit du gouvernement du Québec.

Cette décision de mettre l'emphase sur la vente de produits non alcoolisés ne faisant pas partie de son mandat serait-elle le fruit d'une certaine panique ressentie par une société d'état ne sachant pas comment freiner son déclin et prête à tout pour justifier la pertinence de son existence? Je pose la question.

Bien sûr, notre monopole d'état pourra ultérieurement dire que ses ventes augmentent et les cadres de haut niveau continueront de recevoir leurs bonis, mais l'économie du Québec y aura-t-elle gagné au final? Vite, qu'un économiste compétent se mette là-dessus!





Ajout du 26 octobre 2024:

12 jours après la publication de l'article ci-dessus, madame Stéphanie Grammond, éditorialiste à La Presse, reprend quelques-uns de mes exemples et arguments  dans sa publication bien étoffée et articulée intitulée "Soif de concurrence"que je vous invite à lire.







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