Note: Ce texte a aussi été publié le 13 novembre 2014 dans le Huffington Post Québec (voir ici).
Ne craignez rien, je ne vous parlerai pas du bien-fondé d'une éventuelle privatisation de la SAQ, mais uniquement d'une proposition qui permettrait de corriger facilement et rapidement une bonne partie des irritants de notre monopole.
Je vous ai souvent dit que ma première option était de réformer la Société des alcools du Québec, avant de songer à la privatiser. Je crois qu'il y a encore des personnes de bonne foi dans la boîte qui acceptent de remettre certaines choses en question et qui réalisent qu'il est nécessaire d'apporter certains correctifs avant que l'on ne décide de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Le problème #1
Concentrons-nous aujourd'hui sur un seul point, qui selon moi est la base de bien des maux: la marge bénéficiaire du monopole, que l'on appelle pudiquement la "majoration", et la manière dont elle est appliquée.
On aura beau dire qu'une marge bénéficiaire n'est pas une taxe, mais lorsque que le taux que l'on applique sur les prix coûtants des vins s'élève en moyenne à 134%, on ne peut que conclure qu'il s'agit en fait d'une taxe déguisée. Je dis ceci sans vouloir offenser personne. Osons seulement pour une fois, si vous le voulez bien, appeler un chat, un chat.
J'ai expliqué avec force détails ce problème dans un billet publié ici même, il y a exactement un an, intitulé Du vin pour les riches, des taxes pour les pauvres.
Je vous reproduis ci-dessous un des tableaux de ce billet qui résume la situation actuelle.
Ce qui est ici démontré, c'est que présentement au Québec, les produits d'entrée de gamme achetés à faible coût par la SAQ sont "majorés" d'un taux si élevé, que ces produits renferment plus de 73% de taxes diverses.
Dans les faits, une fois que l'on soustrait la bouteille, l'étiquette, l'embouteillage, le transport, la marge bénéficiaire du producteur et la commission de l'agence, il y a à peine 0,80$ de valeur vin (soyons généreux) dans un vin vendu ici 10-12$.
C'est à partir de 50$ que les vins vendus ici semblent rejoindre la moyenne des prix internationaux. On remarquera qu'à ce niveau de prix, le niveau total des taxes est autour de 50%. C'est 31.5% moins de taxes que les vins vendus moins chers, lesquels sont achetés par la grande majorité des consommateurs, puisque les vins de moins de 15$ représentent plus de 60% des ventes totales de vin de la SAQ.
Moins la SAQ paie ces vins chers et plus elle les "taxe" et vice-versa. C'est ce que l'on nomme une taxe régressive. C'est le contraire de l'imposition progressive de nos revenus dont le taux d'imposition diminue lorsque les sommes gagnées sont plus faibles.
Il est intéressant de constater qu'il y a environ 10$ de valeur en vin dans une bouteille de 50$ et seulement 0,80$ dans une bouteille de vin de 10$. Si la proportion était la même pour tous les vins, il y aurait au moins 2.00$ de valeur de vin dans les vins de 10$, soit celle que l'on retrouve dans les vins vendus présentement 16$. Voyez-vous comment la qualité générale des produits d'entrée de gamme bondirait vers le haut?
Et puis après?
Et bien c'est là que le bât blesse. On comprend alors aisément comment avec ce taux de majoration il est devenu très difficile pour la SAQ de trouver des vins potables qu'elle pourrait offrir à moins de 10$. Rappelons que pourtant 91% des vins vendus dans le monde en format de 750 ml sont achetés pour moins de 10$ par les consommateurs. La majoration régressive de la SAQ est une bonne partie de la raison pourquoi les autres y arrivent et pas nous.
Avec le taux excessif et régressif actuel, j'ai calculé que si la SAQ voulait vendre des bouteilles d'eau de 750 ml, son prix serait de 7,00$. Elle ne pourrait le faire bien sûr car elle n'a pas le monopole de l'eau, mais prenons bien garde de ne pas donner d'idées à notre gouvernement!
Mécontentement extérieur
J'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs dizaines de producteurs de vins de l'extérieur du Québec la semaine dernière, lors de la Grande Dégustation de Montréal; plusieurs d'entre eux m'ont confié, sous le couvert de l'anonymat, combien ils étaient frustrés par la majoration régressive de notre monopole, celle-ci éliminant tout le pouvoir attractif de leurs produits d'entrée de gamme envers les consommateurs .
Un produit qui serait vendu 9,75$ s'il y avait un taux unique de majoration, est plutôt vendu présentement à environ 12$. Ils en vendent de ce fait beaucoup moins, sans faire plus d'argent lorsqu'ils le vendent à la SAQ, car presque toute la différence de prix va au monopole.
Mécontentement extérieur
J'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs dizaines de producteurs de vins de l'extérieur du Québec la semaine dernière, lors de la Grande Dégustation de Montréal; plusieurs d'entre eux m'ont confié, sous le couvert de l'anonymat, combien ils étaient frustrés par la majoration régressive de notre monopole, celle-ci éliminant tout le pouvoir attractif de leurs produits d'entrée de gamme envers les consommateurs .
Un produit qui serait vendu 9,75$ s'il y avait un taux unique de majoration, est plutôt vendu présentement à environ 12$. Ils en vendent de ce fait beaucoup moins, sans faire plus d'argent lorsqu'ils le vendent à la SAQ, car presque toute la différence de prix va au monopole.
Un constat inéluctable
Il est primordial et urgent que la majoration de la SAQ ne soit plus régressive. Tant et aussi longtemps que ceci ne sera pas corrigé, on aura:
-Une structure de prix injuste socialement parlant
-Une faible quantité de vins à prix abordable
-Une inaccessibilité du vin pour une partie de la population
-Des gens qui se tourneront vers d'autres produits, tels la bière
-Des gens qui cesseront d'en boire
-D'autres qui ne commenceront jamais à en boire
-Des volumes de ventes et des profits qui stagneront, ou pire, baisseront
Il est temps d'agir et voici pourquoi.
L'écart avec l'Ontario s'agrandit
Certains diront peut être: l'Ontario? So what? Sauf que la SAQ estime qu'elle a "perdu" l'an dernier 90 millions de ventes au profit de sa consœur de l'Ontario. Je ne sais trop comment cet estimé a été calculé car il n'y a pas de frontières entre les provinces, mais donnons-lui pour une fois le bénéfice du doute et admettons que ce soit bien le cas. Feu rouge en vue.
N'oublions pas que cet écart de compétitivité s'est accentué le 1ier août dernier, gracieuseté de gouvernement provincial, suite à l'augmentation de sa taxe provinciale spécifique sur le vin, laquelle à elle seule, a fait augmenter toutes les bouteilles de vin de 0,25$. Comme je l'ai écrit le 21 août dernier, ceci ne fera qu'empirer les choses. Le feu rouge clignote maintenant.
Disons et admettons tout de go, que les prix du vin au Québec sont passablement convenables pour les vins de plus de 25$. Mais pour les vins moins chers achetés par la masse des consommateurs, aïe aïe aïe!
C'est lorsque l'on compare le prix des vins de moins de 25$ que cesse notre avantage. La LCBO (Liquor Control Board of Ontario) est pourtant elle aussi un monopole d'état, située dans une province qui fait partie du même pays que nous. Plus similaire que ça, tu meurs.
Alors qu'il ne reste plus que deux douzaines de vins de 750 ml de moins de 10$ au Québec (dont deux sans alcool), on en retrouve encore plus de 200 dans le monopole ontarien. Il est vrai que là-bas, on n'a pas volontairement éliminé les vins de moins de 10$ comme ici pour faire monter artificiellement la facture des clients. La preuve que l'on peut être un monopole et tout de même continuer d'offrir à ses clients même si ceux-ci sont captifs, la gamme complète des produits disponibles sur le marché international.
Ils proposent ainsi des vins de 9$, 8$, et même 7,35$, soit à peine plus de 0,35$ de plus que notre hypothétique bouteille d'eau de tantôt. J'ai acheté et goûté ce vin le Villa Ginetti, Velletri Superiore d'Italie, un assemblage de Trebbiano et de Malvasia, et je vous dis que c'était bien meilleur que de l'eau!
Comment peut-il être bon à ce prix, me direz-vous? Et bien, parce que nous sommes inconsciemment habitués à préjuger de la qualité des vins en les mettant en relation avec la seule structure de prix que nous connaissons, celle du Québec. Si ce vin était disponible ici, il coûterait au moins une dizaine de dollars et douteriez moins alors de sa qualité.
C'est donc dire que la marge bénéficiaire du monopole ontarien, en plus d'être non régressive, est aussi plus raisonnable.
Comment peut-il être bon à ce prix, me direz-vous? Et bien, parce que nous sommes inconsciemment habitués à préjuger de la qualité des vins en les mettant en relation avec la seule structure de prix que nous connaissons, celle du Québec. Si ce vin était disponible ici, il coûterait au moins une dizaine de dollars et douteriez moins alors de sa qualité.
C'est donc dire que la marge bénéficiaire du monopole ontarien, en plus d'être non régressive, est aussi plus raisonnable.
Mais un problème plutôt nouveau surgit pour le gouvernement québécois: les gens en sont de plus en plus conscients.
Le fameux voyage à Ottawa
Plusieurs médias en ont parlé, surtout ceux du canada-anglais. Une station de radio de Québec, le FM93, a organisé pour ses auditeurs le 1ier novembre dernier, un voyage à Ottawa en luxueux autocars, à un prix imbattable de 20$ pour l'aller-retour, afin d'aller acheter du vin dans une succursale de la LCBO.
En 48 heures, 250 personnes se sont inscrites pour participer à cette activité et plus de 250 autres ont été placés sur une liste d'attente. La station organisera probablement un second voyage éventuellement.
Rappelons que la loi québécoise permet depuis juillet dernier de rapporter 9 litres de vin (12 bouteilles) par personne, en autant qu'elle aille cependant elle-même les chercher. Ces personnes ont respecté la loi à la lettre. En moins d'une heure, plus de 3 000 bouteilles de vins furent achetées pour une somme d'environ 35 000.00$. De hauts dirigeants de la LCBO ont accueilli ces acheteurs à bras ouverts.
Quelques personnes sur les médias sociaux se sont moquées de ces gens, les traitant d'arriérés qui ne savent pas compter, puisque les économies réalisées d'environ 3,00$ la bouteille sont réduites par les dépenses encourues. Cette profonde incompréhension teintée d'un peu de mesquinerie résulte de leur grande ignorance au sujet de la motivation première de ces gens qui ont participé à cette démarche.
Le but premier n'était pas avant tout de "sauver" de l'argent mais plutôt d'envoyer un signal fort au gouvernement québécois. Il s'agissait plutôt d'une joyeuse (et non violente pour une fois) mobilisation citoyenne pour démontrer que plusieurs ressortissants québécois en ont ras le bol de sentir pris en otages. Ils ont choisi de dénoncer cette sur-sur-surexploitation ainsi que la non-compétitivité des vins d'entrée de gamme vendus au Québec en votant avec leur portefeuille, et ils en ont tout à fait le droit.
On rit toujours des précurseurs mais ce sont souvent leurs actions qui profitent par la suite à l'ensemble de la collectivité, y compris les moqueurs. Et si vous croyez un tel geste inutile, lisez la partie du communiqué émis par la SAQ, le jour même de ce magasinage inter-provincial:
La société « essaie toujours de desservir le mieux possible sa clientèle en offrant les plus bas prix », a dit Linda Bouchard, porte-parole pour la SAQ. Elle ajoute toutefois que la société « entend et comprend les revendications des consommateurs qui veulent des vins moins chers ».
Et si...
Avec des si, on va à Paris, dit le dicton. Mais si, pour leurs achats de vin et d'alcool du temps des fêtes, seulement 3% des consommateurs du Québec décidaient d'aller faire leurs emplettes dans la province voisine, les ventes de notre monopole reculeraient d'environ 30 millions de dollars pour ce seul trimestre. De quoi faire sérieusement réfléchir notre glouton gouvernement.
Si vous passez (par hasard) par l'Ontario...
Je vous ai dressé une liste de produits en deux temps. Vous devriez la consulter, ne serait-ce que pour satisfaire votre curiosité.
La première partie mentionne les vins disponibles dans les deux monopoles qui affichent des prix inférieurs d'environ 11% à 24% chez nos voisins, alors que la seconde est composée des meilleurs produits vendus moins de 10$ parmi les 200 quelques, disponibles uniquement en Ontario.
Lien pour consulter la liste des 70 produits**à partager avec tous vos ami(e)s
Parfois moins, c'est mieux
À moins que l'on ne désire qu'obturer les failles du barrage avec du diachylon jusqu'à ce que tout s'écroule, aucune solution ne pourra être viable à long terme, tant que la majoration de la SAQ demeurera régressive. Ceci pourrait être appliquée demain matin si on le voulait, sans loi spéciale et ni référendum, ce qui permettrait à la SAQ de retrouver sa compétitivité face à sa consœur de l'Ontario, tout en éliminant beaucoup des irritants actuels. Si le monopole ontarien arrive à le faire, pourquoi pas nous?
L'augmentation du volume de ventes engendrée par cette mesure compenserait largement la diminution du taux de la marge bénéficiaire. On fait plus d'argent en vendant deux bouteilles à 12$, qu'une seule à 16$.
Nous aurions ainsi non seulement la parité avec les citoyens de l'Ontario qui s'approvisionnent eux aussi dans un monopole, mais des prix légèrement inférieurs pour les vins de plus haute gamme et les spiritueux. Qui sait? Ce sont peut être les habitants de l'Ontario qui viendront un jour faire leurs emplettes au Québec.
Suggestions de vins de la semaine:
Vins blancs
Villa Ginetti, Veliterra vini, Velletri Superiore, 2013, Italie, 7,35$
Chardonnay, Les Parelles, Côtes-du-Jura, Juravinum, 2010, France, 20,55$
Vins rouges
Vila Regia, Douro, Sogrape vinhos, 2013, Portugal, 10,50$ (en spécial à 9,50$)
Grande Réserve des Challières, Côtes-du-Rhône, Bonpas, 2012, France, 14,95$
(en spécial à 13,45$)
Sedara, Donnafugata, Sicile, 2012, Italie, 18,70$
Syrah, Montes Alpha, vallée de Colchagua, 2010, Chili, 22,00$
Guidalberto, Tenuta San Guido, Toscane, 2012, Italie, 48,25$
Bonnes dégustations!
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