vendredi 28 février 2014

Des vins de dépanneurs à la SAQ


Note: Ce texte a aussi été publié le 27 février 2014 dans le Huffington Post Québec (voir ici).

Beaucoup de personnes l’ignorent, mais de plus en plus de vins correspondant à la catégorie des vins de dépanneurs sont présents sur les tablettes des quelques 400 succursales de la Société des Alcools du Québec et ce, de manière quasi incognito.

Rappelons pour ceux qui n’auraient pas lu mon billet publié ici même en septembre dernier intitulé Toute la vérité sur les vins de dépanneurs que les vins de cette catégorie qui n’existe à ma connaissance nulle part ailleurs dans le monde, doivent de par la loi québécoise, répondre à certains critères bien définis.

Les vins de dépanneurs, c’est quoi?

Citons comme principales caractéristiques que ces vins doivent avoir été importés en vrac, être obligatoirement être embouteillés au Québec par l’une des rares entreprises détenant un permis à cet effet et ne pas afficher sur l’étiquette le nom du producteur et surtout des cépages qui entrent dans la composition de ces vins.

J’aimerais tout d’abord préciser que bien qu’ayant pour opinion que cette législation est archaïque et dépassée, je respecte les consommateurs qui apprécient ces produits; c’est leur droit le plus strict. Ce billet ne fait aucunement le procès de la qualité des vins de cette catégorie. Il porte plutôt sur l’information étrangement confuse et incomplète mise à la disposition des consommateurs lorsque ceux-ci désirent comparer à la SAQ les différents produits qu’on leur propose avant d’effectuer leurs achats.

Il n’y a pas si longtemps

Auparavant les choses étaient simples et claires pour les amateurs de vin. Lorsque l’on achetait nos bouteilles à la SAQ au lieu de s’approvisionner dans un dépanneur ou dans une épicerie, on avait l’assurance ou du moins l’impression que ces bouteilles, sans être toutes de grande qualité, avaient au moins été embouteillées sur les lieux de leur production. On payait généralement un peu plus cher mais on avait la possibilité de pouvoir clairement et facilement identifier le domaine, la maison ou l’entreprise qui avait produit le vin en question.

Tout à fait vrai et toujours le cas, n’est-ce pas? Faux.

Au risque d’en surprendre plusieurs, car il faut vraiment avoir une connaissance pointue à cet égard, on compte depuis un certain temps de nombreux vins vendus entre 10$ et 15$ qui rencontrent les critères de vins de dépanneurs parmi les 1,000 vins courants que l’on retrouve au milieu de la plupart des succursales de la SAQ.  Et selon certaines personnes du milieu généralement bien informées, cette tendance devrait s’accentuer.

Une situation paradoxale

C’est un peu le monde à l’envers. Alors que l’Association des Détaillants en  Alimentation du Québec implore le gouvernement depuis des années pour que ses 8,000 membres puissent avoir le droit d’offrir à leurs clients des vins embouteillés sur les lieux de production, alors que certains dépanneurs ont commencé à offrir des vins, certes importés en vrac comme la loi les y oblige, mais de plus haute gamme (16$, 18$, 24$, 30$ et plus), la SAQ de son côté incorpore de plus en plus de produits de catégorie de vins de dépanneurs à son répertoire. 

On est en droit de se demander s’il faudra bientôt aller plutôt au dépanneur du coin pour mettre la main sur un vin de plus grande qualité.

Mais pourquoi?

La principale raison qui motiverait notre monopole à agir de la sorte serait, vous l’aurez deviné, l’atteinte de profits plus élevés. J’ai expliqué dans mon billet de septembre dernier cité plus haut qu’un vin de cette catégorie importé en vrac vendu 10,95$ aux consommateurs renfermait environ 1$ de valeur en vin.

Rappelons qu’en janvier de l’an dernier, suite à la publication d’articles dans divers médias dont celui-ci que la SAQ était visiblement en train d’éliminer les vins qu’elle vendait moins de 10$, la Société des Alcools avait alors publiquement promis pour calmer le jeu, d’ajouter de 5 à 10 produits de 10,95$ et moins. Avec l’annonce faite récemment, soit un an plus tard, qu’on était pour finalement en ajouter 6, celle-ci affirma fièrement qu’elle avait remplie sa promesse et que pour le moment ces 6 nouveaux produits étaient amplement suffisants.  Mais le diable dit-on se cache souvent dans les petits détails.

De quoi vous plaignez-vous?

On ne vous avait alors évidemment pas avisés chers consommateurs qu’avant que les 6 nouveaux produits ne soient disponibles, on était pour en éliminer plus de 40. Un pas en avant et 6 en arrière. Même dans un tango on ne recule pas autant.

Il est intéressant de consulter le tableau ci-dessous créé par Marc-André Gagnon le 5 février dernier sur son site vinquebec.com au sujet de l’évolution du nombre de bouteilles de vin par catégories de prix au cours des quatre dernières années.


Il y avait 67 produits de 10$ et moins il y a un an au moment de la promesse de la SAQ. Il en restait 30 le 4 février dernier et seulement 26 le 5 février (plus que 25 en date d'aujourd'hui) suite à la récente hausse générale des prix décrétée par la Société des Alcools du Québec.


Si je vous reparle de cela c’est que parmi les produits d'entrée de gamme récemment introduits dans le répertoire de la SAQ, certains ont été importés en vrac et embouteillés ici.  Bonne chance cependant pour les identifier. Mais vous ne pouvez vous plaindre à cet égard car on ne vous avait rien promis  en ce qui concerne la catégorie de nouveaux produits que l’on était pour vous ajouter.

Mais je le répète, certains de ces produits ont une qualité très acceptable. Là n’est pas le problème. C’est le manque de transparence qui en est un. Il ne suffit pas de dire ou d’écrire que l’on est transparent. Il faut que cela puisse  se confirmer dans les faits également.

Un fouillis pour les consommateurs

On peut donc retrouver aujourd’hui sur les tablettes de notre monopole des vins qui ont été importés en vrac d’Australie, de France, de Californie, d’Argentine, d’Italie, d’Afrique du Sud, alouette! Vous aurez compris qu’il y a plusieurs. Et il est très difficile en ce moment pour le commun des mortels d’arriver à identifier clairement ceux-ci parmi tous ceux que nous proposent la SAQ, ne serait-ce que parce que les produits importés en vrac de la SAQ ne sont pas les mêmes que ceux que l’on est habitué de trouver dans les épiceries et les dépanneurs.

Ils ont tous pourtant des noms qui inspirent confiance inventés pour les besoins de la cause mais ne cherchez pas à savoir leurs producteurs véritables car seulement l’embouteilleur les connaît. Zéro traçabilité. On indique souvent comme producteur sur la contre-étiquette une entreprise qui est une compagnie exportatrice ou qui est en fait une filiale de l’embouteilleur. Et sur le site internet de la SAQ, ce sont ces noms que l’on retrouve parfois comme désignation du producteur! On  voudrait brouiller les pistes que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Selon le dictionnaire Larousse le mot « producteur » signifie une personne ou une entreprise qui a fabriqué ou produit un bien économique, donc dans ce cas-ci celui qui a cultivé le raisin et l’a vinifié, vous serez d’accord avec moi. Pas celui qui l’a importé ou embouteillé. Importateur, oui. Embouteilleur, oui. Producteur, non.

Et pour ajouter à la confusion, puisqu’ils sont vendus à la SAQ, plusieurs de ces vins affichent leurs cépages, chose qui serait interdite s’ils étaient vendus dans les dépanneurs. On a donc des vins de dépanneurs qui se donnent des allures de vins standards en affichant leurs cépages. Comment voulez-vous que le consommateur moyen puisse s’orienter dans cette galère où même une chatte n’y retrouverait pas ses petits. 

Merci à Marie-Claude Journault à qui j'avais donné pour défi d'illustrer
l'adage bien connu: "Un chatte n'y retrouverait pas ses petits"
Adresse courriel: joure20@hotmail.com

La politique de la SAQ sur les étiquettes

Il est très intéressant de souligner ici que dans le document appelé « Politique d’achat et de mise en marché de la Société des alcools du Québec » adopté par le Conseil d’administration de la SAQ le 25 avril 2013, il est précisé à l’article 7.1, paragraphe f, que la SAQ demandent portant à ces fournisseurs comme garantie au sujet des produits qu’ils lui vendent :

« des étiquettes et des emballages qui présentent  des informations, indications, appellations et marques précises, complètes et exactes et qui ne prêtent à aucune confusion ou méprise.»

Est-ce que ce que je viens de vous décrire rencontre ces exigences? Je vous en laisse seuls juges.

Certaines personnes auraient sans doute souhaité que je publie une liste exhaustive de ces produits en question mais celle-ci n’aurait pu qu’être incomplète. Je ne veux pas que l’on puisse me taxer de favoritisme en pensant que j’aurais omis intentionnellement certains produits. Scruter un à un les mille et quelques produits réguliers demanderait un temps fou.

Et puis ce n’est pas à moi de vous dire quels sont les vins de cette catégorie qui sont présentement à la SAQ car cette responsabilité relève plutôt et avant tout au fournisseur ainsi qu’au détaillant.

Soyez des consommateurs aux aguets

Par contre, afin de vous aider à vous retrouver quelque peu dans cette inextricable jungle, je vous ai tout de  même dressé certains indices sous forme de liste (une sorte de guide de survie!) qui vous permettront avec un peu de chance, de pouvoir identifier les vins qui rencontrent les critères de vins de dépanneurs vendus à la SAQ.

Afin de ne pas trop alourdir ce billet, les personnes désireuses de connaître ces indices pourront les consulter grâce à ce lien :



Bien que vous ayez le droit d’aimer les vins de cette catégorie, toutes les personnes de l’industrie à qui j’en ai parlé sont unanimement contre la pratique d’inclure pêle-mêle des vins de dépanneurs dans le répertoire de la SAQ. Là n’est pas leur vraie place, tout simplement.

Est-ce indispensable?

Le nombre de produits embouteillés sur les lieux de production disponibles sur cette planète dépasse allègrement le million et nous serions incapables au Québec d’en  trouver parmi ceux-ci 7,967 soit le nombre de vins total que nous propose actuellement la SAQ? Je pose la question, c’est tout.

Pour paraphraser M. Bernard Derome, l’ancien lecteur vedette de nouvelles à Radio-Canada, « si la tendance se maintient », d’ici quelque temps une succursale de la SAQ risquera fort de ressembler à un gros dépanneur.

Peut-on avoir encore confiance?

Alors que depuis un an les profits de la SAQ semblent être sur une pente descendante, je ne crois pas qu’introduire de tels vins en douce, c’est-à-dire sans tambour ni trompette, soit de nature à restaurer la confiance de la clientèle. Les administrateurs du monopole devraient pourtant connaître les effets négatifs à long terme qui surviennent immanquablement lorsqu’une entreprise perd la confiance de ses clients.

Et le fait que la Société des alcools du Québec soit un monopole n’y change pas grand-chose car l’alcool et le vin ne sont pas des denrées essentielles et une partie de ses clients peut fort bien décider, du jour au lendemain, de cesser d’en acheter.

Une solution toute simple

Soulevez un problème c’est bien, proposez une solution c’est mieux. Alors si on tient malgré tout à avoir absolument des vins de dépanneurs à la SAQ, afin d’éliminer toute ambiguïté et de protéger minimalement les intérêts des consommateurs, je propose que le gouvernement oblige tout simplement les embouteilleurs québécois à inclure un logo informatif sur les étiquettes en façade de ces vins. Ce serait le minimum de la transparence. 

Ce logo serait obligatoire pour tous les vins importés en vrac, qu’ils soient vendus dans les épiceries, les dépanneurs ou à la SAQ.

Le texte « Importé en vrac et embouteillé au Québec » me paraît clair et précis. Mais notre gouvernement voudra-t-il que les consommateurs puissent dorénavant savoir quels types de vins ils achètent? S’il tient  vraiment à la protection des intérêts des consommateurs, oui. Sinon, vous pourrez en déduire que cette situation floue a reçu son aval et lui convient parfaitement.

Une offre difficile à refuser

Connaissant la situation financière précaire de notre gouvernement, afin de lui éviter des coûts inutiles, j’ai demandé aux généreux employés de la firme d’infographie montréalaise ffunction de créer un logo à cet effet. Il n’y a pas à dire, ces gens travaillent bien et je vous les recommande.

Quand on sait qu’avec la bureaucratie gouvernementale (comités, études, recherches, réunions, etc.) une telle petite babiole aurait coûté au bas mot $50,000.00 à produire et que nous vous l’offrons gratuitement, vous conviendrez avec moi que c’est une offre digne d’un parrain, c’est-à-dire du genre qu’on ne peut pas refuser.

Les consommateurs de vin du Québec pourront ainsi choisir les vins qu’ils désirent acheter en toute connaissance de cause. Terminés la confusion et le mélange des genres. N’est-ce pas tous ce que nous voulons? Les consommateurs du moins.

Suggestions de vins de la semaine:

Si lire tout ceci vous a donné soif, voici quelques bons vins qui devraient parvenir à vous l'étancher. Il n'y parmi ceux-ci  aucun vin importés vrac. Garanti.

Vin mousseux


Domaine Ste-Michelle brut, Washington, Columbia valley, États-Unis, 19,45$


Vin blanc

Riesling Rosacker, Alsace grand cru, Cave de Hunawhir, 2011, France, 26,65$

Vins rouges  


Paralèlle 45, Paul Jaboulet Aîné, Côtes-du-Rhône, 2011, France, 16,35$


Mompertone, Monferrato Rosso, Prunotto, Piémont, 2011, Italie, 20,00$


Bonnes dégustations!


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